> imprimer cette page

Ecrits > Les Chroniques


 

MORISSEAU, le sceau
par
Pauline RUSSELL

 

PJ A LA CAGOULE,
PH.: PAULINE RUSSELL © 2006

 

L'IMPLORANTE,
PH. :  JACQUES CRENN © 2006

 

 

« A la veille de son concert en deux sets, au charmant petit café-concert du 14ème arrondissement, « Au moins, il est rive-gauche… » avait remarqué le jeune et beau Tanguy VIEL, auteur du livre « Insoupçonnable », lors de l’inauguration du Salon du Livre 2006, Pascale Jeanne MORISSEAU, chanteuse à textes, d’une trop rare spiritualité, développa, nous confia-t-elle, au milieu des arbres centenaires du Parc de Sceaux, quelques pensées fort naturelles : « J’ai de la chance avec la pluie, il y a même un petit bout de soleil… », ou encore « Et cet oiseau-là, avec son tricot de corps jaune, vert et bleu, comment s’appelle-t-il ? Mésange ? Mésange bleue ? Mes anges bleus ? » pour conclure la pensée homonymique. Et plus loin : « J’espère qu’ils se sentiront biens… », en pensant à son bon public, attentif, sensible et généreux... Et bien, les anges auront sans doute exaucé la prière de cette chanteuse-auteur-compositrice, au goût du risque archi-prononcé, une liberté et une volonté d’expression brandies, comme une bannière, chaque mois de l’année, un sceau de génie intuitif porté dans l’ouvrage en marche et qui s’incarne, une marque de fabrique de « chansons à soi », avant d’être à d’autres.

Plus qu’un concert, le mot performance, générant « l’expérience », convient mieux aux ambiances tour à tour subtiles et puissantes qu’elle distille avec ses musiciens – Christophe JOUANNO et Eric SIGNOR (le frère de Pascale, Jean-Christophe, prenant, pour cette fois, le vert à Barcelone) – de sa voix de rossignol rimbaldien, dans un registre folk, rock ou classique. On retiendra ces premiers mots qu’elle adressait aux quatre petits minots ayant choisi de venir l’écouter, assis, ce soir-là, au premier rang, alors que la bande-son de « sous-bois printanier » se déversait dans la salle avant le show – ambiance savamment orchestrée par Christophe JOUANNO, inspirée par sa muse : « Les enfants, il faut continuer d’aimer les oiseaux ! C’est très important… ». Le ton était donné, les poètes adorés, chacun – RIMBAUD, RILKE, BAUDELAIRE, HUGO et De la TOUR du PIN – y donnait à voir un bout de sa chair. Et l’auteur du « tribute » délivra pour la première fois son « cantique des années 70 » –  « Rêves en alexandrins » (écrit et composé à l’été 2002), qui déclencha une salve de « Bravos ! » bien sentis, ou son tout nouvel opus, aux ambiances médiévales et japonisantes, « J’irai par la passerelle » (03/2006), longs tous deux de huit minutes, et qui ne dépareillaient certainement pas avec les ambiances poétiques et envolées de ses aînés et illustres pairs. Ici, se glissait l’ombre d’une Polly Jean HARVEY de souche française, ou d’un Claude DEBUSSY en culottes courtes, voire d’une Joni MITCHELL extasiée.

Clou de l’hommage rendu aux poètes, « Vous trouverez chez eux des réponses à ce que votre âme désire le plus en ces temps troublés et dégénérés », la double visitation du célèbre « Invitation au voyage » de Charles BAUDELAIRE, avec la superbe composition et contribution pianistique impeccable du non moins talentueux et méconnu Eric SIGNOR, incarnation excentrée de son mentor, Léo FERRE, disparu et regretté, récemment brillamment arrangé et interprété à la sauce flamenca par SAPHO. Deux versions, visions, deux astres : le soleil fit face à la lune.

Ambiance festive et chaleureuse cependant, où le rire – la chanteuse n’est pas sans faire penser à la très talentueuse Elise CARON, qui, comme elle, lâche la pression entre les titres avec, pour sa part, des private jokes spontanés, parfois imbitables, mais irrésistibles pour la joie qu’ils drainent autour d’eux – côtoie les pleurs d’une émotion vraie, profonde et sensible qui repose des poses et attitudes nombrilistes et artificielles de nombre de chanteurs d’aujourd’hui. « Je voudrai dédier cette chanson, « La beauté » de Charles BAUDELAIRE, à Camille CLAUDEL et Auguste RODIN pour faire dans le contemporain… ». Echantillon de blague. Puis, solennelle, elle chante « La beauté », improvise la danse du cygne ou mime l’immobilité du sphinx sur les vers immuables du poète :

« Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris

J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ».

Et la grâce s’étend à la salle elle-même, si petite, tout y est si proximal : les jeunes mariés s’embrassent sur sa dernière chanson « Oui, non, si », qui achèvera les deux sets, et le public meurt de rire, et… chante !

On ne dira jamais assez combien les concerts de cette artiste sensible, au credo « humaniser, décloisonner », sont rares et devraient être davantage prisés par le public parisien, se vivant pour l’instant dans cet humble théâtre de la chanson, tenu de main de maître par le programmateur hors pair et ami de la petite cave rive-gauche, Richard UZAN. S’il y eut l’Ecluse pour BARBARA, l’on se dit que le Charming Café, élu par la chanteuse comme terrain de jeu et de « je(s) », parmi nombre de petites salles parisiennes en vogue, constitue la terre d’attache pour cette chanteuse et ses amis musiciens soucieux de ne jamais reproduire les mêmes formes, pour, dit Pascale, « ne jamais lasser », avec toujours au ventre cette envie de surprendre, de « toucher profond », de pousser plus loin les limites de sa voix au registre désormais si complet, en s’hasardant sur les chemins d’un répertoire de chansons qu’on devine être d’une profusion et d’une inventivité à donner le vertige aux mieux aguerris d’entre nous.

Envoûtante, poignante, électrique, les pieds sur terre et « le nez dans les étoiles », l’enchanteresse nous a proposés hier soir un grand cru de mots et de mélodies, une moisson du ciel, une promenade dans l’éther. Est-ce l’empreinte subtile de son père, peintre figuratif, Jacques MORISSEAU, aux toiles enfouies sous les combles, de la mère, mystique et amoureuse de RILKE, du frère, Jean-Christophe MORISSEAU, architecte et initiateur musical de la chanteuse-guitariste qui, adolescent, introduit Albert MARCOEUR, WEATHER REPORT ou TOM WAITS à la maison, et, alors qu’il vire à l’électrique, donne sa première guitare folk, une Epiphone, à Pascale en manque de piano, de la sœur aînée Annie BOGGIO, professeur d’anglais, mention très bien à sa maîtrise sur John Ronald Reuel TOLKIEN, la première de la fratrie à avoir passé les BEATLES sur son pick-up, et avoir offert à sa petite sœur le mythique « Blue » le jour de sa première communion après l’avoir entendu chanter, de la sœur médecin, Catherine MORISSEAU-ROIG, elle, c’était BEETHOVEN, mais plutôt Françoise HARDY, de son génial et prolifique beau-frère, Xavier BOGGIO, vivant à Auvers-sur-Oise, qui clôturera, par un vernissage à l’envers, le 1er avril 2006, sa cruellement sublime exposition sur quelques 700 m², de plus de 130 œuvres bouleversantes – peintures et sculptures confondues – dont 70% constitue la nouveauté, ou encore de la somme des cultures, fruits du « hasard » des rencontres ? – on ne saura jamais, mais ce qui est sûr c’est que ces oiseaux-là, inspirés et sur la brèche, ne devraient plus rester dans l’ombre bien longtemps. On pressent un autre concert en juin, où s’ensuivra, à n’en pas douter, un autre voyage édénique en chansons. Amoureux de la beauté, ne restez plus sur la touche, laissez-vous toucher plutôt ».

Paris, le 26/03/2006.


<<retour