Bojenna Orszulak
« Les prénoms » de Jeanne Morisseau : des élans de lumière
On dit que beaucoup d’auteurs écrivent toujours le même livre. Il en est ainsi de ce recueil de nouvelles, qui forment en réalité un seul et même récit,
mais à la manière d’un prisme de cristal, suspendu à la verticale et rayonnant de toutes ses facettes.
Le lecteur y rencontre, au sens le plus fort de ce verbe, l’artiste aussi multiple qu’étonnante, cette fois encore au sens premier de ce mot.
Notre époque se voudrait affranchie et déliée, mais elle s’enlise et se fige, à l’instar des précédentes, dans ses propres entraves et interdits.
La beauté devient suspecte, l’amour ne doit pas dire son nom, l’éclairage cru des spots et des écrans met à mal la lumière et obscurcit les âmes,
les slogans remplacent la prière. Jeanne Morisseau fait partie de ceux qui résistent, quitte à en payer le prix, et nous livre « ses prénoms » :
un long voyage intime et universel, fait des va-et-vient douloureux, comme le sont les métamorphoses les plus profondes. Les personnages apparaissent
devant nous au fil des pages, nous surprennent, nous interrogent, nous bousculent, nous rappellent à nos incertitudes. Parfois, ils ne font qu’un.
Le clair-obscur de leurs cœurs et de leurs histoires tisse une trame des miracles au milieu des soifs, souffrances et tristesses. L’amour et le désir
transfigurent les êtres et le monde. Les prières changent le cours des choses. Les anges veillent, discrets mais secourables.
Les morts parlent aux vivants et les vivants aux morts. Tout est lié, finalement.
Le récit et les poèmes mènent un dialogue complice, tout au long de ce livre vivifiant, ressuscitant tendresse et espoir.
L’humour subtil, toujours bienvenu, se faufile entre les lignes, se mêlant à la gravité. Les mots donnent à voir des images
et à entendre des musiques, douceur et violence mêlées. Mais avant tout, il y a un appel de l’absolu : réfractions infinies des élans de lumière,
qui n’achoppent sur les apories de ce qu’on nomme habituellement le réel que pour mieux rejaillir de ses failles. Et si nous avons tant besoin de cette lumière,
c’est parce que – comme le chante Patti Smith – « the night belongs to lovers, because the night belongs to us ».
Yan Kouton
Les Prénoms tiennent du fragment d’un discours amoureux. Pièces en apparences éparpillées d’existences - prises dans les tourments de l’attachement - ce nouveau texte de Jeanne Morisseau déploie avant tout une virtuosité impressionnante, et presque intimidante. L’écriture est d’un classicisme devenu presque archaïque, sauf qu’elle n’est ici qu’un véhicule, presque un vernis craquant à chaque pas, à chaque histoire.
On découvre alors que la virtuosité évidente de Jeanne Morisseau est au service d’une observation sensible, inquiète, aux limites de l’effondrement, toujours, d’une humanité fragile, dès lors qu’elle se met à nu, c’est-à-dire quand elle se plonge dans ce que l’on appelait autrefois les affres de l’amour. De manière encore plus subtile, quand elle s’immerge dans une époque qui, à peine sortie des interdits et encore enivrée de sa liberté, se heurte à de nouveaux murs.
Si Les Prénoms s’ouvrent sur une épiphanie, ce n’est pas par hasard. On sait, dès les premières pages, que le roman va plonger loin, et surtout, dans les affres de la création. Et quand Mary, musicienne, découvre la puissance de la poésie, on est submergé avec elle par toute la beauté qu’elle s’apprête à découvrir. Celle que Jeanne Morisseau va développer, ensuite, avec la fluidité des écritures les plus poétiques, et donc les plus précieuses.
L’autrice explore, prénom après prénom, destin après destin, ce cri viscéral, étouffé ou violent, légitime ou dangereux, naissant ou mourant qui accompagne toute vie. Bien plus qu’un besoin, une connexion au monde, à l’univers. Et les incessants voyages que Jeanne Morisseau opère entre son univers littéraire et celui d’autres poètes ou romanciers sont là pour nous éclairer.
L’amour est charnel, oui, puissamment. L’amour n’a pas d’âge et ne connaît pas les conformismes. L’amour se joue des distances, de la mort, de la différence, des sexes. Ce n’est pas qu’il est plus fort que tout. Il est si souvent contrarié et vaincu. C’est, plutôt, qu’il se confond avec l’élan artistique. Il en partage les mêmes ambivalences, les mêmes failles, les mêmes forces. Il meurt, il est bafoué, renié, réduit au silence. Mais il renaît inlassablement.
Et inlassablement, de prénom en prénom, de parcours en parcours, il se manifeste, toujours différent, mais toujours à l’origine. Dans ce que le mot a de plus profond.